Quand j’ai commencé ma formation de prêtre, j’avais une vision rigide et froide de la morale. Mais dès les premières phrases, notre professeur l’a complètement retournée en disant : « la morale, c’est la science du bonheur. » Dieu nous a créés en vue du bonheur parfait, et il nous y conduit. Donc si nous voulons être heureux, nous devons faire confiance à Dieu, écouter sa Parole, et agir en conséquence parce Dieu l’a commandé.
Je voudrais réfléchir avec vous sur ce motif d’obéissance : « parce que Dieu l’a commandé. »
Dans l’évangile, nous avons vu les pharisiens et les scribes (les savants de la religion juive), se focaliser sur la question du lavement des mains avant de manger ; cela peut nous paraître futile, mais pour eux, c’est une question importante, car il s’agit de pureté, et la pureté est au centre du système religieux ; elle est, du côté de l’homme, la condition de bons rapports avec Dieu. Mais Jésus va les reprendre vertement en montrant que ce qui plaît à Dieu n’est pas la pureté rituelle et extérieure du corps, mais la pureté morale, celle du cœur. Le fait de se laver les mains n’est pas mauvais en soi, mais c’est un leurre par rapport au véritable comportement religieux : se laver les mains ne peut donner qu’une illusion de pureté. Le Seigneur va plus loin et leur dévoile la racine de leur erreur : « vous laissez de côté le commandement de Dieu pour vous attacher à la tradition des hommes. » Les pharisiens et les scribes ont mélangé la sainte Loi de Dieu avec de simples « préceptes humains », ils ont confondu la « sagesse et l’intelligence » du peuple d’Israël avec la folie des nations.
En quoi tout cela peut nous concerner ? Le monde, aujourd’hui comme hier, propose des préceptes moraux, et il possède un certain pouvoir pour les faire appliquer : celui qui les enfreint se trouve désavoué par les autres hommes, voire puni et exclu : celui qui crie des insultes est une brute grossière, celui qui répond à l’autorité est un arrogant, celui qui jette ses déchets sur le trottoir est un sagouin, celui qui vole est un vaurien… Il encourt une amende ou même la prison. Tout cela nous influence pour une part, et ainsi un chrétien peut très bien se comporter de façon acceptable dans la vie et se convaincre qu’il est pur devant Dieu, tandis qu’en fait il ne fait que suivre la religion du monde, les préceptes humains d’aujourd’hui. Son motif d’agir n’est pas « parce que Dieu l’a commandé » mais « afin d’être respecté et considéré par les gens, accepté par le voisinage, pour vivre tranquillement dans le monde, pour en tirer des avantages, …» Un autre qui ne connaîtrait pas la Parole de Dieu se conduirait exactement de la même façon. Et si ce même chrétien rencontre dans la Bible un précepte qui le dérange, qui ne convient pas à sa manière de vivre ou à son caractère, qui n’est pas conforme au monde, il trouvera vite une excuse pour ne pas en tenir compte. « Ce commandement ne s’applique plus de nos jours… » « Les mœurs ont évolué… » Il accueille la semence de la Parole de Dieu avec un regard critique, distant et méfiant, au lieu de la recevoir dans un cœur simple et droit, « parce que Dieu a commandé. »
Tout de même, on se demandera peut-être si agir ainsi, simplement « parce que Dieu l’a commandé », n’est pas une attitude obscurantiste, une soumission naïve et une démission de la raison ; si cette attitude ne convenait pas à une époque où la science et la pensée étaient moins développées, où on connaissait à peine les autres religions ; si maintenant ce n’est pas la raison qui doit prendre la première place. C’est une critique qu’on entend souvent aujourd’hui. Mais jugeons l’arbre à ses fruits : le fruit de l’arbre de la raison autonome, de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, se cueille dans l’histoire récente. Totalitarismes sanglants, dictature du relativisme, lois injustes, attentats terroristes, effondrement de la civilisation… La lumière de la raison autonome est insuffisante, seule la lumière de la foi est capable d’éclairer toute l’existence de l’homme (Lumen Fidei 3 et 4).
Agir « parce que Dieu l’a commandé » est tout-à-fait raisonnable, c’est notre privilège et notre honneur. Et si nous le faisons vraiment, ce sera notre consolation éternelle.
« Mes frères bien-aimés, les présents les meilleurs, les dons parfaits, proviennent tous d’en-haut, ils descendent d’auprès du Père des lumières… Il a voulu nous engendrer par sa parole de vérité… Accueillez dans la douceur la Parole semée en vous : c’est elle qui peut sauver vos âmes.»
Abbé Louis Fabre +