« Être de belles grappes sur la vigne », homélie du Vè dimanche de Pâques

Dimanche dernier, nous avons célébré la fête de notre paroisse placée sous le vocable du Bon Pasteur. Jésus prend beaucoup d’images de la vie courante de son temps pour parler de lui. Après le bon Pasteur, le vrai Berger, voilà qu’aujourd’hui, Jésus se définit comme étant la vigne, « la vraie Vigne ». Même si ce n’est pas la saison du raisin, imaginons une belle vigne florissante, remplie de belles grappes blanches ou noires qui nous font envie. Chers frères et sœurs chrétiens, c’est nous qui devons être, au milieu du monde, ces belles grappes qui font envie. Car, Jésus nous le dit : « Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez pour moi des disciples » (Cf. Jn 15, 8).

 

A lire et à entendre la Parole de Dieu, à écouter les enseignements de l’Église du Christ, on a parfois l’impression que le Seigneur nous invite à vivre dans la prière continue, dans la dévotion, presque comme enfermés dans une bulle, loin de tout ce qui nous entoure. C’est une mauvaise impression. Même les personnes les plus retirées du monde, comme les moines et les moniales, ne sont pas dans enfermées une bulle. La sainte Église elle-même n’est pas la bulle de refuge des chrétiens ; elle n’est pas à côté du monde, mais au centre du monde sur lequel elle rayonne. Ce qui veut dire que l’Église que Jésus fonde sur ses apôtres n’est absolument pas une communauté de purs. Toutes les communautés, dans l’histoire, qui ont voulu se définir comme « communautés de purs » sont devenues sectaires, c’est-à-dire, coupées des autres, sans amour, et finalement coupées de Dieu. Au temps de Jésus, il y avait par exemple les Esséniens… Plus proche de nous, au Moyen Âge, les Cathares…. En fait, vouloir se faire Christ plus que le Christ, c’est une tentation à laquelle il faut résister. Comme ces donneurs de leçons qui ont toujours une phrase de la Bible à la bouche pour nous faire taire et nous faire culpabiliser, et qui se croient purs.

 

La vie chrétienne, la vie de l’Église du Christ, c’est la vie quotidienne, la plus simple, la plus ordinaire rendue extraordinaire parce que nous portons le Christ en nous et que nous faisons tout par amour pour lui. C’est à ce moment-là que prend sens ce que nous dit saint Luc, dans la première lecture : « L’Église était en paix… elle se construisait et elle marchait dans la crainte (= dans l’amour) du Seigneur ; réconfortée par l’Esprit Saint, elle se multipliait » (Cf. Ac 9, 31). L’Esprit Saint met de l’extraordinaire dans l’ordinaire de la vie de l’Église. Et cela se voit, se sent, se remarque lorsque nous relevons enfin la tête du guidon pour regarder vraiment les fruits que l’Esprit nous fait produire. Bien sûr que nous ne sommes pas toujours au top, nous sommes pécheurs et Jésus le sait parfaitement. Qu’on se le dise : les baptisés sont des pécheurs. Nous le reconnaissons au début de chaque messe : « Préparons-nous à la célébration de l’eucharistie en reconnaissant que nous sommes pécheurs » (cf. Invitatoire du Rite Pénitentiel). Le pardon que nous venons demander au Seigneur en vérité nous permet de continuer à vivre dans l’Église, nous remet sur le bon chemin. Ce n’est pas automatique. Cela nous permet aussi de déposer devant le Seigneur nos échecs. Saint Paul lui-même a échoué dans sa mission auprès des Juifs de langue grecque, nous l’avons entendu dans la première lecture. Les échecs font partie de la vie.

 

Être disciples de Jésus, le Christ Ressuscité, c’est une volonté de chaque jour. Lorsque saint Jean nous rappelle le commandement du Seigneur : « Mettre notre foi dans le nom de Jésus Christ, et nous aimer les uns les autres, comme il nous l’a commandé » (Cf. 1 Jn 3, 23), c’est pour que ce commandement soit notre seul cahier des charges. Il ne suffit pas de penser à tout ce que nous pourrions faire, mais de le faire. Et ce n’est pas chose évidente. Nous aimer les uns les autres, c’est savoir que nous sommes pécheurs les uns les autres, nous avons nos faiblesses, nos défauts, nos manquements, les uns les autres, mais que nous sommes des frères et des sœurs de Jésus, les uns les autres. C’est ça qui compte, et c’est ça que nous avons parfois du mal à vivre. Pour porter du fruit, c’est-à-dire pour faire grandir la Vigne du Seigneur, il faut toujours se souvenir que nous sommes greffés au Christ Jésus. Sinon, nous sommes comme ces sarments desséchés qui sont toujours sur la vigne, mais qui ne servent à rien et que le Père enlève, nous dit Jésus. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de ne servir à rien. Disciples de Jésus, nous sommes missionnaires de son Évangile d’amour qui doit être annoncé pas seulement par notre bouche, mais aussi par nos mains.

 

Je voudrais conclure cette homélie par un petit texte de saint Augustin sur lequel je suis tombé et qui me semble bien résumer ce à quoi le Seigneur nous appelle. « Lorsqu’on demeure dans le Christ, que peut-on demander, sinon ce qui convient au Christ ? Que peut-on vouloir, quand on demeure dans le Seigneur, sinon ce qui n’est pas étranger au salut ? Nous demandons une chose parce que nous sommes dans le Christ, mais nous voulons autre chose parce que nous sommes encore en ce monde. Du fait que nous y demeurons, nous sommes parfois tentés de demander ce dont nous ignorons que cela nous est nuisible. Mais chassons l’idée que nous obtiendrons cela si nous demeurons dans le Christ, car il ne fait ce que nous lui demandons que si cela est bon pour nous » (cf. Commentaire sur l’Évangile de Jean, n°81). Chers frères et sœurs, pour être de belles grappes de raisin sur la vigne du Seigneur, nous savons ce qu’il faut faire : demeurer en lui comme lui en nous (Cf. Jn 15, 4). Amen.

 

Abbé J.-P. Filippi, curé