« La souffrance, partage du chrétien en ce monde », homélie du 12 Septembre

« Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu ? » Une question qu’on entend parfois lorsqu’une personne connaît une contrariété passagère, ou qu’elle traverse un grand malheur. La souffrance n’est pas normale, pense-t-on ; elle nous semble en tous cas sans proportion avec nos fautes. Nos souffrances nous scandalisent, comme l’annonce des souffrances de Notre Seigneur a scandalisé Pierre.

Le scandale de la souffrance du juste est crié en bien des passages des Saintes Écritures. C’est en particulier le sort des prophètes, les hommes choisis par Dieu pour dire sa parole tranchante, et qui subissent en retour l’hostilité et la violence des hommes. Isaïe est l’un d’eux. Dans son cantique (Is 50, 5-9) il reconnaît que la persécution qui s’abat sur lui est une conséquence de sa mission : « le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille, et je ne me suis pas révolté. J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient… » Ce qui suscite notre admiration, c’est l’acceptation sereine et confiante du prophète : les souffrances s’abattent sur lui parce qu’il est fidèle à Dieu. Et il les accepte patiemment parce qu’il a une confiance inébranlable dans la justice de Dieu.

Aujourd’hui, Jésus demande à ses disciples « Pour les gens, qui suis-je ? », et les réponses sont claires. Pour les hommes Jésus est un prophète, c’est-à-dire un médiateur à qui Dieu confie sa parole pour la proclamer à son peuple. « Jean-Baptiste ; Élie ; l’un des prophètes. » Dans leurs réponses est aussi caché en filigrane la destinée de Jésus : comme les prophètes, il sera confronté à la dureté du cœur de ses contemporains et broyé par leur haine. C’est ce que dévoile Jésus à ses disciples : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté …, qu’il soit tué. »

Jésus va plus loin. Face au scandale de Pierre, il appelle la foule avec ses disciples pour une grave mise en garde : tous ceux qui veulent le suivre doivent par avance, et librement accepter les souffrances : « Qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix, et qu’il me suive. » Ainsi, si c’est avec sérieux que nous nous sommes engagés parmi les amis du Seigneur Jésus, nous ne devrions être ni étonnés, ni inquiets, ni révoltés, de voir sur nos épaules le joug du Christ qui est sa croix. Si nous nous scandalisons, nous méritons le même reproche cinglant que Pierre : « Va-t’en derrière moi, Satan ! » Une religion chrétienne où on ne garderait que le versant glorieux, et où serait effacée la vallée de larmes, est une illusion, c’est le trésor de pacotille que le Diable fait miroiter à ses fils : « pas du tout, vous ne mourrez pas ! Mais vous deviendrez comme des dieux… » Le Père de vérité et de sagesse en a voulu autrement pour nous.

Pourquoi ? La réponse nous demeure en grande partie mystérieuse. Nous pouvons simplement esquisser quelques pistes : d’abord, écoutons Saint Augustin : « Dieu qui t’a créé sans toi ne te sauvera pas sans toi. » Dieu aurait pu nous sauver gratuitement, instantanément, et souffrir sa passion pour ainsi dire sans nous regarder et sans nous demander notre avis. Mais il a voulu nous traiter avec beaucoup plus de respect, et nous donner la grande dignité de participer à notre salut en portant notre croix. Il a désiré que nous soyons associés au mérite de son Fils. C’est une grande preuve de considération pour chacun de nous, qui nous rend responsables de notre vie.

Deuxième piste : la souffrance du Christ est un langage universel qui nous dit son amour. Si Dieu n’avait pas partagé notre condition dans ce qu’elle a de plus amer, s’il n’était pas allé jusqu’au bout de ce chemin de douleur, comment saurions-nous qu’Il nous aime tant ? Et nous-mêmes, comment savoir si nous aimons vraiment quelqu’un avant de souffrir pour lui ? Tant que les œuvres d’amour ne coûtent pas, comment être sûr que nous aimons ? La souffrance authentifie l’amour.

Aussi, dans le deuil des amis, des parents ; dans la peine des mères pour leurs enfants ; dans l’angoisse du chômage des jeunes, des pères ; dans les soucis et les angoisses de santé ; lorsque des méchants nous persécutent et nous font toutes sortes d’injustices ; gardons les yeux fixés sur la croix de notre bienheureux Seigneur. Que Dieu nous fasse comprendre que notre douleur est la route de notre joie. Non seulement parce qu’elle y conduit, mais aussi parce que, dès maintenant, la douleur supportée avec patience peut nous attacher par les liens les plus intimes du cœur au messie crucifié.

En célébrant le mémorial de la passion de Jésus, en communiant à son Corps livré et à son Sang versé, demandons à Dieu la science de la croix : « qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera ».

 

Abbé Louis Fabre +