« Oui, je le veux, avec la grâce de Dieu ». C’est la réponse des candidats aux questions posées par l’évêque le jour de leur ordination presbytérale. Après cet engagement solennel, à l’intercession de tous les Saints de l’Église, l’évêque et tous les prêtres imposent les mains aux ordinands. Revêtus de l’étole du pasteur et de la chasuble, signe de la charité du Christ, les nouveaux prêtres reçoivent sur leurs mains l’onction d’huile du saint-chrême pour célébrer les sacrements, particulièrement l’eucharistie, marquée par la réception de la patène et du calice.
Chers frères et sœurs, vous avez peut-être participé aux dernières ordinations à la cathédrale, il y a dix jours ; ou bien vous les avez regardées grâce à la retransmission sur internet. Il y a 30 ans, le 26 juin 1994, je recevais moi-même, avec mon confrère de séminaire René Dardonville, le sacrement de l’ordre. Je n’en menais pas large même si j’attendais ce jour, pas seulement depuis les huit ans de séminaire, mais depuis ma plus tendre enfance. Malgré les difficultés, les incertitudes, les carences intellectuelles, les déceptions, les drames familiaux, les obstacles, les échecs, les années ont passé et me voilà arrivé jusqu’à ce dimanche 26 juin 94, à la cathédrale Sainte Réparate archi-pleine. J’ai toujours gardé en mémoire la seule recommandation de Mgr François Saint-Macary, l’évêque qui nous a ordonnés, sur le pont de la rivière d’Ars, où je l’avais rencontré, quelques jours après mon entrée au séminaire, en 1986. Il m’a dit une seule parole, un seul mot, un seul verbe : « Fonce ! » Il a donc fallu que je fonce jusqu’à l’ordination, ce que j’ai essayé de faire, parce que j’avais sa confiance. Et après l’ordination ? Il a fallu que je fonce encore. Car l’ordination, comme tout sacrement, n’est jamais une fin en soi, ; l’ordination n’est pas une installation dans un statut canonique ou un siège de notable, mais le commencement d’une nouvelle page de vie à écrire avec le Seigneur, avec lui, et assis, avec lui, à la dernière place.
« Enseigne-moi, Seigneur, le chemin de tes ordres, chante le Psaume ; à les garder, j’aurai ma récompense » (Ps 118, 33). Il y a l’enseignement, le chemin de la volonté du Seigneur qui s’impose et qui est première, qu’il faut apprendre à discerner, à découvrir, à méditer, et à mettre en pratique. C’est bien là le plus difficile. Sa volonté et ses ordres sont identiques, sauf qu’ils s’adaptent au temps qui passe, aux modes qui changent, aux mentalités qui évoluent. Oui, comment garder le chemin de tes ordres, Seigneur, qui seront ma récompense, au milieu d’un monde hostile à ta Parole ? au cœur d’une Église qui traverse de multiples tempêtes ? des communautés chrétiennes où, bien souvent, chacun tire la couverture à soi en croyant détenir la vérité ?
Et toi, Seigneur, pour compliquer les choses, parce que tel est ton humour, tu nous demandes de dire, avec le Psaume : « Montre-moi comment garder ta loi, que je l’observe de tout cœur » (Ps 118, 34). En fait, il ne faut rien changer du point de départ en regardant déjà le bout de la course. Il est bien lointain, le point d’arrivée, et ce sont seulement les yeux de la foi qui peuvent le distinguer là-bas à l’horizon. S’il ne faut rien changer et foncer vaillamment, à travers les années, les temps et les modes, on est toujours obligé d’adapter, de s’adapter en tirant d’un côté ceux qui sont à la traîne et de l’autre côté ceux qui s’égarent. Cela nous rappelle bien ce que nous avons entendu en première lecture : « Debout sur l’estrade, le roi Josias conclut l’Alliance en présence du Seigneur. Il s’engageait à suivre le Seigneur en observant ses commandements, ses édits et ses décrets, de tout son cœur et de toute son âme, accomplissant ainsi les paroles de l’Alliance inscrites dans ce livre » (2 R 23, 3). C’est véritablement un engagement à la fidélité envers le Seigneur. Le prêtre s’engage à être fidèle à son ordination, fidèle à l’alliance conclue avec le Seigneur pour être son pasteur au milieu de l’Église, au milieu du monde, au milieu du peuple qui lui est confié.
Cela ne veut pas dire que la vie du prêtre reste la même. Je ne suis plus le jeune homme de même pas 27 ans qui recevait l’imposition des mains, il y a trente ans. Ce qui demeure, c’est le même désir du départ : « Vois, Seigneur, j’ai désiré tes préceptes : par ta justice fais-moi vivre » (Ps 118, 40). Lorsque le désir est toujours vif, même si la fidélité est souvent mise à mal, le désir triomphe. Parce que, comme je l’ai dit, au jour de mon ordination : « Oui, je le veux, avec la grâce de Dieu ». Seul, je ne peux rien. C’est comme dans l’acte de contrition quand nous disons : « Je prends la ferme résolution, avec le secours de ta sainte grâce, de ne plus t’offenser et de faire pénitence ». Oui, avec le secours de la grâce de Dieu, nous savons que nous pouvons lui dire oui, nous pouvons lui faire la promesse d’être fidèles à sa Parole et à la nôtre. Récemment, nous avons eu une conversation entre prêtres au sujet du départ rocambolesque d’un confère. On m’a demandé pourquoi, moi, j’étais resté. Sur le moment, je n’ai pas su répondre. Mais ça m’a travaillé longtemps. Aujourd’hui, je le reconnais, durant ces trente années, comme tous les prêtres d’ailleurs, j’ai dû prier encore avec le Psaume et demander au Seigneur : « Détourne mes yeux des idoles : que tes chemins me fassent vivre » (Ps 118, 37). Des idoles, il y en a en tout genre, en tout domaine : elles nous tentent. Et c’est là que « le secours de la sainte grâce de Dieu » est nécessaire pour tenir le coup et ne pas entrer dans la tentation des idoles. Et, si l’on tombe, savoir se relever et repartir avec la grâce de Dieu. Je ne suis pas le Curé d’Ars, que je vénère pourtant beaucoup ; je ne suis pas un prêtre de fiction, je ne suis pas un prêtre super-star. Je suis moi, seulement moi, qui ai dit, il y a trente ans : « Oui, je le veux, avec la grâce de Dieu ». Le Seigneur m’a choisi pour ce que je suis. Et je le remercie. Maintenant, est-ce que je suis un prêtre selon le cœur de Dieu ? Alors là, je répondrai : Si je le suis, que Dieu me garde ainsi et me fasse fructifier. Si je ne le suis pas, qu’il me pardonne et qu’il me convertisse.
Durant mes trente années de sacerdoce passées à Nice Sainte Hélène, pendant deux ans, à Cannes pendant sept ans, où va bientôt partir le P. Louis, à Beaulieu pendant douze ans, et ici au Bon pasteur depuis bientôt neuf ans, la vie fraternelle sacerdotale a été un point fort et un point d’équilibre important pour moi. Il ne s’agit pas de cette fraternité sacerdotale dont on nous parle beaucoup et qui est finalement quelque peu utopique, à mon sens ; je parle de celle qui se vit au quotidien. La fraternité sacerdotale ne se dit pas, elle se vit ou bien elle ne se vit pas pour le plus grand malheur d’un prêtre. Un deuxième point important pour moi a été la confiance des évêques successifs en me confiant, indirectement lorsque j’étais vicaire, directement depuis une vingtaine d’années que je suis curé, un sémariste à accompagner et à former aussi sur le tas. Oui, sur le tas car bien des choses ne sont jamais apprises au séminaire, mais sur le tas, là où c’est le métier qui rentre. Quelques-uns ont disparu en route… D’autres sont restés et sont prêtres aujourd’hui, je les porte dans ma prière : Cyril Geley, François-Régis Jamain, Michel Dejouy, Paul-Bao Dinh Ly, Christophe Simon, et le dernier, Louis Fabre. Sans oublier, même à distance, par internet, le petit togolais devenu grand, prêtre, bientôt docteur en théologie, et mon vicaire depuis un an, Francis Agbokou. C’est une responsabilité importante qu’un séminariste car on ne lui transmet pas qu’un savoir et un savoir-faire, on lui transmet aussi l’exemple de l’humilité du prêtre qui n’a pas réponse à tout, qui a ses faiblesses et ses limites, et qu’il évite autant que possible de croire que le prêtre est un extra-terrestre. Configuré au Christ-Prêtre, le prêtre prend tout du Christ pour accomplir son ministère en son nom ; mais sans rien perdre de son humanité pécheresse que le Christ n’a pas prise mais a sauvée.
Alors, frères et sœurs, oui, je le veux et je le veux encore, avec la grâce de Dieu. Je continue à foncer, même avec une santé qui ne ressemble en rien à celle que j’avais il y a trente ans. Pourvu que je tienne, dans la fidélité, même chaotique, jusqu’à ce que le Seigneur m’appelle à la rencontre définitive lorsqu’il le jugera bon. Et, avec vous aujourd’hui, je sui heureux de lui rendre grâce. Amen.