De nos jeunes années d’écolier, nous gardons peut-être le souvenir des redoutables examens de fin d’année. Ces épreuves récapitulent le travail de toute la période, et peuvent ouvrir, soit à des vacances reposantes et à une nouvelle classe pleine de promesses, soit à la perspective trouble d’un redoublement, assorti d’une amère punition, et de la séparation d’avec ses amis pour l’année suivante… Au séminaire, un de nos professeurs avait sa manière très spéciale d’examiner les élèves : plusieurs jours avant la fin du cours, il nous révélait les questions du test ; et non seulement ça, mais ensuite, il nous faisait trouver les bonnes réponses, puis à chaque nouvelle heure de cours, il les répétait à haute et intelligible voix. Les questions étaient intelligemment posées, et couvraient l’essentiel de sa matière. Si bien que le dernier jour, tout le monde venait sereinement à l’examen, obtenait une très bonne note, et connaissait les points les plus importants que le professeur voulait transmettre.
Aujourd’hui, j’ai l’impression que Jésus fait pareil que ce bon professeur. Juste avant d’entrer dans sa passion, il nous prépare au jugement dernier et nous donne les questions de l’examen final. Et en bon pédagogue, il insiste et répète plusieurs fois ce qui est le plus important. Saint Augustin, en commentant cet évangile, conseille de l’écouter avec extrême vigilance, et d’apprendre par cœur les paroles de Jésus.
Si nous avions dû imaginer nous-mêmes le test du jugement dernier, peut-être aurions-nous pensé à passer en revue les dix commandements, ou même à éplucher les 613 préceptes de la loi juive ? Et l’examen aurait consisté à compter le nombre d’infractions à chacun, et totaliser les points : 100 points pour un meurtre, 60 pour un blasphème, 20 pour un vol, 50 pour un adultère, un demi-point par carré de chocolat, etc… Et, au-dessus de, disons, 50 points par année de vie, hop, géhenne !
Regardons maintenant en quoi consiste le test de Jésus. Première surprise, pas un mot sur ces actions mauvaises. Non, il porte uniquement sur des actions bonnes, et très simples. Laissons-nous surprendre par cela : Jésus oriente nos regards, non pas vers des péchés à éviter, mais vers du bien à faire. Et d’ailleurs, ce qui est reproché à ceux qui sont à sa gauche, c’est en fait de ne pas avoir fait ce bien ; ce sont des péchés d’omission qui méritent ici le châtiment éternel. Je ne veux pas dire qu’il soit indifférent que nous commettions des péchés en pensée, en paroles, et en actions. Bien sûr que non, mais dans son dernier discours aux disciples, il donne toute la place aux bonnes actions. Comme dira saint Pierre, « la charité couvre une multitude de péchés. » (1P 4,8)
Quelles sont les bonnes œuvres à accomplir? Difficile d’être plus insistant, Jésus répète à quatre reprises la même liste de six situations. Il semble que Jésus nous demande simplement de prendre soin de lui, dans notre vie terrestre :
« J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ;
j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ;
j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ;
j’étais nu, et vous m’avez habillé ;
j’étais malade, et vous m’avez visité ;
j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi. »
Et parce que nous ne croisons pas Jésus dans notre vie quotidienne, les gens sont surpris, et Jésus explique : « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » Ainsi, nous avons la clé qui permettra de réussir le grand examen de notre vie. A nous de la garder très précieusement.
Aujourd’hui, c’est la fête du Christ-Roi de l’univers. Comment Jésus est-il roi ? D’abord comme créateur : par Jésus, Verbe de Dieu, l’univers entier est créé à partir de rien. Anges et archanges, amas de galaxies, étoiles et planètes, photons et antiparticules. Cachalots et méduses, vautours et chauves-souris, guépards et pangolins. Et par-dessus tout, l’homme, qui doit être maître de la création (Genèse 1,28). Mais le Christ n’a pas seulement créé l’univers, il est aussi celui qui le gouverne, qui le conduit à son achèvement. Et puisque l’homme en est le centre, tout le destin de l’univers tient en fait à lui. Voilà pourquoi le bon roi qu’est le Christ nous indique la direction, la destinée de l’histoire humaine. Ce n’est certainement pas le feu éternel : l’évangile nous dit qu’il n’est pas préparé pour les hommes, mais « pour le diable et ses anges ». Non, notre destinée, c’est « la royauté préparée pour [nous] depuis la fondation du monde… » Jésus est un roi dont le programme est très simple : nous faire participer à sa royauté dans l’éternité de Dieu.
Nous pouvons mieux comprendre maintenant le test de Jésus : c’est un examen de royauté. Pour Jésus, le vrai roi n’est pas un dictateur jaloux de son pouvoir, qui fait sentir sa domination à ses sujets. Au contraire, le vrai roi est comparable à un bon berger qui prend soin de ses brebis, spécialement des plus faibles : il les conduit au pâturage, il soigne les blessées, guérit les malades… Cela, Jésus l’a fait pendant sa vie terrestre, jusqu’à « déposer sa vie pour ses brebis » (Jean 10,11). C’est ainsi qu’il est roi, et il nous propose de faire de même.
Que par sa grâce nous gravions dans notre cœur les six points de l’examen final, et que nous les mettions en pratique ! Alors nous marcherons sereinement jusqu’au jugement dernier, et entendrons le Seigneur des Seigneurs nous dire : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. »
Louis Fabre, séminariste