Chers frères et sœurs, j’aime bien cette période de l’année liturgique qui va de la solennité de la Toussaint à celle du Christ, Roi de l’univers. Je l’aime bien car, en ces dernières semaines de l’année, la liturgie fixe particulièrement nos regards sur les fins dernières que l’on appelle l’eschatologie (du grec eschatos = dernier et logos = discours). Certes, tout au long de l’année liturgique, c’est bien le Ciel que nous célébrons sur la terre dans chaque eucharistie puisque Jésus, vainqueur de la mort dans sa résurrection, nous annonce sa Venue dans la gloire. Au matin de Pâques, la Parole de Dieu nous donne d’entendre ces mots de saint Paul : « Recherchez les réalités d’en-haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu » (cf. Colossiens 3, 1). En terminant l’année liturgique, il nous est donné d’avoir comme une excitation à la vie du Ciel pour motiver notre espérance et nous préparer à accueillir Celui qui vient à notre rencontre. Le même comparé à l’Époux que les jeunes filles attendent dans l’Évangile de ce dimanche. La question du jour peut donc être celle-ci : est-ce que nous attendons le venue du Christ ? est-ce que nous croyons qu’il viendra dans la gloire pour nous faire vivre au ciel ?
Il y a quelques décennies, les homélies dominicales – que l’on appelait plutôt sermons -, traitaient beaucoup du ciel, de la vie future et éternelle, du paradis. Parfois, selon les prédicateurs, le langage faisait peur ; l’on pouvait facilement mettre en garde contre la menace du feu de l’enfer celui ou celle qui manquait aux préceptes de l’Évangile. Il est évident qu’aujourd’hui, ce langage ne passe plus et fait même sourire. A chaque époque, son langage. Mais la réalité, elle, a-t-elle disparu en même temps que le langage ? La Parole de Dieu est immuable, les réalités du ciel sont toujours les mêmes, la venue du Christ est toujours annoncée pour la fin des temps. Aussi, il ne faut pas croire que, parce que la venue du Seigneur aura lieu à la fin des temps, nous avons le temps. Car nous n’avons pas le temps. Pourquoi ? Parce que dans l’Éternité de Dieu, le temps n’existe pas : « Un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour » (cf. 2 Pierre 3, 8 ). Il faut donc se préparer pour tous les jours. Les cinq jeunes filles prévoyantes de la parabole ont tout prévu. Elles s’endorment parce que le temps passe, qu’il fait nuit et que l’époux tarde ; mais elles ont de l’huile en réserve pour y voir clair et accueillir l’Époux à son arrivée.
C’est vrai, frères et sœurs, que l’on peut penser que les jeunes filles prévoyantes ne sont pas très charitables envers les cinq autres. Les cinq insouciantes, parties à l’aventure en quelque sorte, n’ont plus d’huile dans leur lampe. Justement, il ne s’agit pas là d’une aventure, mais d’une occasion unique qu’il ne faut pas manquer. C’est sans doute pour cela que Jésus ne relève pas ce « manque de charité ». Jésus met plutôt l’accent sur l’exigence de la préparation où rien ne doit être laissé au hasard, ne serait-ce qu’un détail qui peut se révéler être un obstacle. Le manque d’huile devient ici le signe du manque de préparation : « Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas » (cf. Matthieu 25, 12). Comme nous n’avons pas le temps, je disais, il n’y a pas de place pour l’improvisation. La préparation à la vie du ciel ne commencera pas la veille, mais dès aujourd’hui.
Quand on entre dans une église, il y a toujours une lumière rouge à côté du tabernacle pour signaler la présence du Christ dans le Pain eucharistique. Cette lumière est rassurante : quoi que l’on fasse, Jésus est présent, nuit et jour. Eh bien notre lampe intérieure doit être de cet ordre-là : toujours allumée, pour ne jamais perdre de vue que notre destinée, c’est le Ciel et que nous devons toujours être prêts. Comme les scouts !… Et pas comme une lumière électrique dont on ne se soucie plus, mais comme la veilleuse que l’on remplace vite avant qu’elle ne s’éteigne. La lumière intérieure, c’est la Sagesse de Dieu que l’on appelle aussi le Saint-Esprit. Je parle de sagesse parce que la première lecture de ce dimanche nous offre ce bijou précieux : « La Sagesse est resplendissante… Elle se laisse aisément contempler par ceux qui l’aiment, elles se laisse trouver par ceux qui la cherchent » (cf. Sagesse 6, 12). Ayant une majuscule dans ce livre, la Sagesse est personnifiée ; l’on peut y voir la personne de l’Esprit Saint à l’œuvre dans le monde. La sagesse des hommes, qui n’est pas forcément mauvaise, peut être éclairée, enrichie, renforcée, transfigurée par la Sagesse de Dieu. Certes, la Sagesse de Dieu n’est pas comprise, aimée, recherchée par tout le monde. Pourtant, elle peut nous préparer à la Rencontre finale avec le Seigneur ; et aussi nous faire vivre autrement dans ce monde, et faire des émules.
Frères et sœurs, le feu de l’enfer enseigné autrefois ne fait plus peur ; on n’en parle plus guère que dans les films d’horreur, les films « gore » comme disent les jeunes. Est-ce que l’enfer n’existe plus ? Est-ce que le feu a fini par s’éteindre ? Non. Mais je crois que parler aujourd’hui d’une séparation éternelle avec le Seigneur Dieu d’amour est peut-être plus pertinent. En effet, quand on aime passionnément quelqu’un, on n’a pas du tout envie d’être séparé de lui. À plus forte raison lorsqu’il s’agit de Dieu. Ce Dieu que, d’une manière ou d’une autre, chaque religieux du monde recherche ou sert dans sa propre confession. La Sagesse de Dieu dépasse les frontières de l’Église catholique. Et, quand on n’aime pas, pire, lorsque l’on croit aimer et servir Dieu alors que l’on est en train de servir soi-même, ou de servir une idéologie destructrice comme l’islamisme ? Est-ce que l’on n’est pas en train de se séparer éternellement de Dieu ? Dans la parabole racontée par Jésus, la porte fermée manifeste qu’il n’y a pas de deuxième chance et qu’il fallait saisir l’unique occasion d’entrer dans la salle des noces. Est-ce que Brahim, l’auteur de l’attentat à la basilique Notre-Dame, a saisi cette unique occasion ? Est-ce qu’il entrera dans l’éternité bienheureuse du Seigneur ? Il ne m’appartient pas de le dire, ni à personne d’ailleurs. Seul Dieu est juge et nous ne pouvons que le confier à sa miséricorde. Mais voilà un exemple de ce que la sagesse humaine n’a pas su faire : voir plus haut que soi. L’idéologie islamiste parle d’un dieu qui n’existe pas. Il y a donc tromperie sur la marchandise. Lorsqu’une religion ne rend pas un homme heureux et ne dégage pas de l’amour, Dieu n’y est pas : « Ubi caritas et amor, Deus ibi est » (= où sont amour et charité, Dieu est présent).
Chers frères et sœurs, nous le croyons et nous l’espérons : « Au signal donné par la voix de l’archange, et par la trompette divine, le Seigneur lui-même descendra du ciel, et ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront » (cf. 1 Thessalonciens 4, 16). L’imagerie de saint Paul est belle, simple, naïve, mais la réalité décrite est importante : le Seigneur viendra. C’est sa Promesse. Et il ne viendra pas deux fois. Donc mettons chaque jour l’huile de la Sagesse divine dans notre lampe intérieure. Que l’Esprit Saint fasse de nous des lumières pour le monde, des lumières du Christ qui incitent tous ceux que nous rencontrons à percevoir en nous la présence de Dieu les invitant à la vie du Ciel. Nous le répétons chaque jour, plusieurs fois par jour même dans la Prière du Seigneur : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » (cf. Matthieu 6, 10). La volonté de Dieu, c’est de nous avoir auprès de lui, maintenant et pour l’éternité. Alors, avec un amour confiant, redisons-lui sans cesse : « Mon âme a soif de toi, Seigneur, mon Dieu » (cf. Psaume 62, 2). Amen.
Abbé Jean-Paul FILIPPI, curé