Chers frères et sœurs, il y a plusieurs années, quelques jours avant Pâques, je me demandais à haute voix ce que j’allais bien pouvoir raconter dans mon homélie pascale. Un confrère, m’ayant entendu, me dit alors : « Tu n’as qu’à leur dire que Jésus est ressuscité ». Oui, bien sûr. Comme je peux vous dire à Noël : « Il est né le Divin Enfant ». Bien souvent, il faut savoir discerner dans l’humour et la plaisanterie, indispensables durant ce temps de confinement, la vérité qu’il s’en dégage. Parfois, même celui qui plaisante ne s’en rend pas compte. C’est vrai : comment ne pas dire à Pâques que Jésus est ressuscité ? On le dit tous les dimanches de l’année puisque chaque célébration eucharistique fait mémoire de Celui qui était mort et qui est vivant et qui viendra. A plus forte raison, en ce Dimanche des dimanches : « Jésus est ressuscité ». Qu’est-ce que cela nous fait de le savoir ? Qu’est-ce que ça change de le dire et de répéter au milieu de nos Alléluia tonitruants que nous avons tus durant le Carême ?
Si « c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux » comme nous le fait chanter le Psaume pascal (cf. Ps 117, 23), alors une merveille, la Merveille a besoin d’être dite et répétée, la Bonne Nouvelle pour le monde a besoin d’être annoncée. A la suite des Apôtres, « Dieu nous a chargés d’annoncer et de témoigner » (cf. Ac 10, 42) de la Résurrection de Jésus Christ. A quoi ça sert de célébrer la Semaine Sainte, de revivre la dernière semaine de vie terrestre de Jésus depuis son acclamation triomphale des rameaux jusqu’au tombeau vide de Pâques en passant par sa passion et sa mort ? Ça ne sert pas seulement à se souvenir de ce qui s’est passé il y a à peu près deux mille ans. Un peu comme une « amicale des anciens de Jésus » qui aiment à se raconter ses faits et gestes, ses paroles et tout ce qui a fait sa vie. Non. Revivre et célébrer la Semaine Sainte qui s’achève sur ce beau Jour des jours, c’est pour prendre conscience de notre foi en Dieu, pour réaffirmer notre amour et notre consécration à Jésus Christ, c’est pour renouveler nos promesses de baptême : Seigneur Jésus, tu es ressuscité pour moi, pour me sauver de la mort, et je dois en vivre chaque jour ; je dois l’annoncer et en témoigner par toute ma vie avec la force de l’Esprit Saint.
Les premiers mots de la Parole de Dieu que la liturgie de ce jour de la Résurrection nous fait entendre sont de l’apôtre saint Pierre. Dans la première lecture. Le Pierre qui a renié trois fois Jésus lors de la Passion, le Pierre qui a réaffirmé trois fois son amour pour Jésus après la Résurrection. Le Pierre devenu désormais pasteur de l’Église naissante. Ces premiers mots sont : « Vous savez ce qui s’est passé » (cf. Ac 10, 37a). Et il raconte Jésus. Donc, vous dire aujourd’hui, chers frères et sœurs, comme me le suggérait avec humour mon confrère, que « Jésus est ressuscité », c’est vous dire : « vous savez ce qui s’est passé ». Je ne vous apprends rien et en même temps, je vous apprends tout. Je veux dire par là que cette bonne nouvelle, cette « merveille devant nos yeux » doit être vivante, récurrente, toujours présente à notre esprit comme si nous venions juste de l’apprendre. Comme si nous étions assis dans le cénacle fermé à double tour avec les disciples apeurés et déconcertés, et entendions Marie-Madeleine frapper à la porte et nous déclarer : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé » (cf. Jn 20, 2).
Eh oui ! Jésus n’est plus dans son tombeau. Les apôtres sont encore dans le leur tant qu’ils n’ont pas fait leur profession de foi. En voyant Jésus ressuscité, certes, qui viendra à leur rencontre au cénacle. Mais aussi et surtout, pour nous aujourd’hui comme pour celles et ceux qui se convertiront au Seigneur, faire nôtre l’attitude de saint Jean l’évangéliste dans le tombeau vide : « Il vit et il cru » (cf. Jn 20, 8b). Voir quelque chose qui nous fait croire que Jésus est vivant. Voir les chrétiens d’Orient prier et célébrer malgré les persécutions. Voir les visiteurs de prisons être témoins de changements de vie de détenus qui ne seront jamais admis, même par certains chrétiens qui n’ont pas encore compris la miséricorde du Seigneur. Voir ces jeunes se proposer pour faire les courses aux personnes âgées en cette période de confinement… Toutes ces belles choses, « c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux » qui nous permet de professer notre foi baptismale : je vois et je crois. Je vois avec les yeux de la foi et de l’espérance et je crois avec les yeux de l’amour.
Alors, on comprend bien l’apôtre saint Paul qui, dans la deuxième lecture, nous invite à « rechercher les réalités d’en haut » à « penser aux réalités d’en haut, non à celles de la terre » (cf. Col 3, 1.2). Si nos regards sont fixés sur les réalités terrestres, il n’y a pas de place pour l’espérance. C’est bien, mais ça s’arrêtera un jour. Et après, plus rien. Alors que si nos regards sont fixés sur les réalités célestes, tout prend un autre sens ici-bas. Comme le disait je ne sais plus qui : « La foi n’ajoute rien, elle change tout ». Saint Paul ne nous demande pas de délaisser la terre. Bien au contraire, forts de notre foi, nous avons l’espérance que toutes ces belles choses que nous pouvons faire, vivre, regarder sur la terre seront portées à leur achèvement dans la gloire de la résurrection. Parce qu’elles auront contribué à annoncer et à témoigner de la victoire du Christ sur la mort. En fait, la vie chrétienne, la vie dans la foi et l’espérance chrétienne, c’est quoi ? C’est répandre Pâques partout. C’est dire à travers nos gestes et nos manières de vivre que Jésus est ressuscité.
Chers frères et sœurs, depuis plusieurs semaines, nous vivons dans ce temps de confinement dû à la pandémie du coronavirus ou du covid-19. Nous faisons l’expérience du manque de messe, de communion eucharistique, de réconciliation sacramentelle, de rassemblement dominical, d’activité pastorale. Certes, les moyens de communication par internet, par la télévision et la radio nous aident, Dieu soit loué, à ne pas nous isoler et à être nourris. Presque maintenant, il y aurait un trop plein de spiritualité comme il y a un trop plein d’informations sur la coronavirus. Alors, je ne dis pas : « lors du retour à la normale », parce que la normale n’est pas forcément la normale selon le cœur de Dieu. Je préfère donc dire : j’espère que lors de la sortie de notre confinement, nous sortirons de notre « tombeau » avec les disciples de Jésus. Si, aujourd’hui, la vie de Jésus n’est plus la même qu’avant sa mort, notre vie ne doit plus, ne peut plus être la même qu’avant notre confinement. Il nous faudra désormais avoir le courage de dire non à ce qui n’est pas « la normale » pour l’Évangile. Jésus n’a pas dédaigné la vie humaine puisqu’il s’est fait homme à Noël et qu’il a porté l’humanité à son achèvement lors de la résurrection. Notre vie de sortie de confinement sera alors un peu comme si nous venions au monde une deuxième fois. Mais cette fois, ce sera une renaissance comme lorsque durant la vigile pascale nous réaffirmons, cierge à la main, la foi de notre baptême et de notre confirmation. Bref, ce sera comme une résurrection. Oserai-je dire, comme une répétition de notre entrée dans la Vie éternelle.
« Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui dans la gloire » dit saint Paul (cf. Col 3, 4). Aujourd’hui, le Christ paraît hors du tombeau. Alors, nous aussi, nous paraissons en espérance avec lui dans la gloire. Amen. Alléluia !
Abbé Jean-Paul Filippi