Méditation du troisième dimanche de Pâques (26 Avril)

Lorsque saint Luc écrit son Évangile, cela fait déjà plusieurs années que l’Évangile est annoncé. Il vaudrait mieux dire : lorsque saint Luc met par écrit l’Évangile. L’Évangile est annoncé et vécu par les premières communautés chrétiennes auxquelles la Mission Azur de notre diocèse de Nice nous renvoie depuis trois ans pour commencer ou recommencer un processus de conversion personnelle à Jésus Christ. L’Évangile est annoncé, vécu et célébré. Les trois dimensions sont inséparables, complémentaires. Ce qui veut dire que l’Évangile est célébré dans l’eucharistie dominicale fidèlement par la première communauté chrétienne : « Les frères, nous dit le livre des Actes des Apôtres, étaient assidus à l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (cf. Ac 2, 42). C’était la première lecture de dimanche dernier. Si l’on regarde de près le superbe texte archi-connu des Pèlerins d’Emmaüs comme on l’appelle, on se rend compte que saint Luc l’a comme inséré dans une liturgie eucharistique.

Chers frères et sœurs, en cette période de confinement où vous n’avez pas la possibilité de participer à la messe à l’église mais seulement en la regardant à la télévisions ou sur internet, c’est l’occasion où jamais de prendre du recul par rapport à la célébration eucharistique. Oui, puisque vous jeûnez de la communion au Corps du Christ eucharistique et en même temps de la communion au Corps du Christ ecclésial, c’est-à-dire en ne pouvant pas rejoindre physiquement la communauté paroissiale, vous êtes à même de vous poser la question : qu’est-ce que la messe ? qu’est-ce que la messe pour moi ? qu’est-ce que la messe pour nous ? Est-ce que notre participation est fidèle à ce que nous rapporte saint Luc dans le livre des Actes des Apôtres ou bien est-elle devenue une dévotion voire première dévotion ?

Nous pouvons observer deux attitudes radicalement opposées dans les textes de la liturgie de ce 3ème Dimanche de Pâques où nous sommes toujours dans la joie de la Résurrection du Christ. L’attitude des deux disciples d’Emmaüs sur la route, « le premier jour de la semaine » ; et l’attitude de Pierre et des onze autres Apôtres, « le jour de la Pentecôte ». C’est là que l’on s’aperçoit que Pâques et Pentecôte sont liées. Pâques, c’est la joie de voir Jésus vivant, ressuscité, « premier-né d’entre les morts » comme l’appelle saint Paul (cf. Colossiens 1, 18). Pentecôte, c’est le don de l’Esprit Saint pour le reconnaître vraiment, l’annoncer, le vivre et le célébrer. Ce que font les disciples à la fin du récit évangélique de ce dimanche. Au départ, sur la route qui mène de Jérusalem à Emmaüs, Cléophas et l’autre disciple sont complètement bouleversé par ce qui vient de se passer. En les rejoignant sur la route pour « marcher avec eux », Jésus va leur demander de tout raconter. Tout ce qu’ils ont sur le cœur. Toute leur peine, leur tristesse, leur « espoir assassiné » comme le chante avec raison un cantique pascal.

Ce temps de marche sur la route correspond au premier temps de la célébration eucharistique que certains ne vivent pas en arrivant en retard. Alors que ce temps est primordial : il est le temps où l’on arrive avec tout ce qui a fait notre vie durant la semaine, nos joies, nos peines, nos colères, nos péchés. Et lorsque le prêtre entre dans l’église et que nous nous mettons debout, ce n’est pas pour le prêtre lui-même, c’est pour Celui au nom de qui il est là : Jésus, le Christ ressuscité qui vient marcher avec nous sur la route de notre vie. Les deux disciples d’Emmaüs racontent leur vie dans la tristesses de la mort de Jésus. Oui, leur espoir est assassiné parce qu’ils espéraient « que c’était lui qui allait délivrer Israël ». De quoi ? Des Romains ? Et après ? Restaurer les choses telles quelles ? Piètre espoir. Il s’agit vraiment d’un espoir humain, bien égoïste, qui n’a aucun intérêt. La résurrection du Christ est-elle destinée à remettre les choses en place, comme avant, comme le déconfinement du 11 mai est appelé à remettre les choses en place, comme avant ?

« Esprits sans intelligence ! » Pas très sympa l’étranger qui marche avec les disciples sur la route. Il se permet de les traiter d’esprits sans intelligence. Nous voyons bien que Pâques et Pentecôte son liées : l’Esprit Saint nous fait don de l’Intelligence, de l’esprit de discernement pour relire tous les événements de notre vie et les comprendre en profondeur. Ce que Jésus leur donne en se mettant à relire tous les passages de la bible qui parlent implicitement ou explicitement ce Jésus. Ce deuxième temps que nous appelons la Liturgie de la Parole à la messe. Cette table de la Parole à laquelle nous pouvons nous assoir en vérité seulement si nous avons vécu la première partie qui nous a fait déposer notre vie aux pieds du Ressuscité. Les disciples acceptent la critique de l’inconnu qui marche avec eux. Et comme ils sont des « esprits sans intelligence », ils vont se laisser remplir de l’Esprit d’Intelligence que Jésus va leur donner. Leur cœur devient tout brûlant en eux tandis qu’ils écoutent religieusement Jésus leur parler de « Moïse et de tous les Prophètes », interpréter « dans toute l’Écriture ce qui le concernait » (cf. Lc 24, 27). L’espoir de Cléophas et son compagnon est peut-être assassiné, mais l’espérance est en train de naître dans leur cœur. Cette espérance qui ne va pas les aider à repartir comme avant, mais les yeux tournés vers l’avenir, un avenir sans fin car « mon Dieu, tu ne peux m’abandonner à la mort, ni laisser ton ami voir la corruption » chante le Psaume (cf. Ps 15, 10). Si Jésus est le Premier-né d’entre les morts, nous sommes, frères et sœurs, les « seconds-nés » d’entre les morts. Telle est notre espérance chrétienne.

C’est la deuxième attitude que je vous invite à observer, celle de l’apôtre saint Pierre et des Onze autres Apôtres dans la première lecture. Comme les disciples d’Emmaüs, Pierre raconte ce qui s’est passé à Jérusalem : Jésus le Nazaréen, « homme que Dieu a accrédité auprès de vous » dit-il au peuple, a été cloué sur le bois par la main des impies. La différence avec les disciples d’Emmaüs, c’est que Pierre et ses compagnons ne sont pas dans la tristesse en disant cela, mais dans la joie de savoir que Jésus est ressuscité : ils l’ont vu vivant, ils l’ont entendu les envoyer en mission, ils l’ont écouté leur ouvrir un avenir éternel : « Tu m’apprends le chemin de la Vie : devant ta face, débordement de joie ! À ta droite, éternité de délice » (cf. Ps 15, 11). Un avenir qui dépasse donc les frontières de la vie terrestre pour rejoindre la vie de Dieu que Jésus est venue nous apporter par sa mort et sa résurrection au matin de Pâques. Un avenir que Pierre propose maintenant au peuple, sûr que le Salut est acquis. Comme il le dit dans sa première épître – la deuxième lecture de ce dimanche – : « C’est bien par le Christ que vous croyez en Dieu, qui l’a ressuscité d’entre les morts et qui lui a donné la gloire ; ainsi vous mettez votre foi et votre espérance en Dieu » (cf. 1 P 1, 21).

C’est cette attitude-là, chers frères et sœurs, que nous devons avoir lorsqu’après nous être laissé rejoindre par le Christ à la messe pour déposer devant lui notre vie et nous être laissé enseigner par la Parole de Dieu, nous partageons le pain et le vin à l’autel. L’Esprit Saint que les Apôtres ont reçu, le même que nous avons reçu à notre baptême et à notre confirmation, nous force doucement à ne plus regarder notre vie de la même manière mais avec les yeux de la foi et de l’espérance. Ces yeux des Disciples d’Emmaüs qui vont enfin s’ouvrir pour reconnaître Jésus, le Ressuscité qui se laisse voir. Ce n’est plus le Jésus d’avant la Croix, « l’ami d’autrefois » pour reprendre l’expression du P. Jean-Bruno dimanche dernier, qui va pouvoir satisfaire leur espoir d’une vie à leur image, selon leurs désirs humains. C’est le Vivant, celui que saint Thomas a reconnu plus encore que ses compagnons, dimanche dernier : « Mon Seigneur et mon Dieu » (cf. Jn 20, 28). Il est là, autour de la table avec les disciples en prenant le pain, disant la bénédiction, rompant le pain et leur donnant. Il est bien là à la table eucharistique à se laisser reconnaître dans le pain et le vin que le prêtre nous montre. Notre foi pascale et notre espérance vivifiées par l’Esprit de Pentecôte nous font croire désormais que nous ne pouvons plus reprendre de la même manière notre vie d’avant. Les mêmes gestes, les mêmes personnes, le même travail, les mêmes occupations, oui, mais transformés « eucharistiés » si je peux dire, par la Rencontre avec le Ressuscité à la messe. Même en étant privé de communion sacramentelle, nous communions spirituellement au Christ Ressuscité. Ce n’est d’ailleurs pas négligeable. Je disais plus haut que ce temps de confinement peut nous faire réfléchir grâce à l’Esprit d’Intelligence à nos pratiques de l’eucharistie. Bien des personnes ne communient pas pour diverses raisons parce que leur état de vie ne le permet pas. Ces personnes sont toute l’année dans la communion spirituelle, Dieu leur accordant une grâce spéciale parce que les richesses divines ne se limitent pas au pain mangé. Heureusement ! Si nous avons l’habitude de manger le pain de vie, qu’est-ce que cela représente pour moi, pour nous ? La messe est-elle la grande dévotion obligatoire, rituelle, voire routinière du dimanche ? Ou bien la messe est l’humble réponse que je fais à mon Seigneur et mon Dieu qui m’invite à le rejoindre au milieu de mes frères et sœurs pour partager le pain de Vie ?

Mes frères et mes sœurs que je ne quitte pas précipitamment avant la fin ou que je ne salue pas à la sortie. Oui, nous critiquons l’individualisme de la société d’avant le confinement ou parfois même pendant le confinement. Est-ce que nous ne le pratiquons pas parfois en refusant de croire que tous les participants à la messe ne sont pas des individus assis à côté de moi, mais bien mes frères et mes sœurs à qui j’ai hâte de parler à la sortie, avec qui je peux faire connaissance aussi ; avec qui j’ai envie de partager la joie d’avoir célébré le Christ Ressuscité qui nous envoie tous annoncer, proposer la foi au monde, à la vie que je vais mener durant toute cette semaine. Et ça commence dès le fond ou le parvis de l’église. C’est cette joie que les disciples d’Emmaüs n’ont pas pu garder pour eux. Cette joie de savoir que le Christ est vivant qui les fait se lever de table et retourner, à pied, en pleine nuit d’Emmaüs à Jérusalem pour raconter aux Apôtres « ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain » (cf. Lc 24, 25).

Chers frères et sœurs, nous le constatons, les premières communautés chrétiennes peuvent nous enseigner vraiment à vivre la célébration eucharistique selon le cœur de Dieu, selon ce que Jésus veut vraiment lorsqu’il dit à ses disciples, au soir de la Cène : « Vous ferez cela en mémoire de moi » (cf. Lc 22, 19). Les piliers de la vie chrétienne se retrouvent à la messe comme dans le récit d’Emmaüs : l’enseignement des Apôtres, la communion fraternelle, la fraction du pain et les prières. Jamais un pilier sans l’autre comme jamais Pâques sans Pentecôte, comme jamais la Croix sans la Gloire. Et bien sûr, comme jamais la vie sans l’espérance. Cette espérance qui nous fait être à l’écoute des autres et nous mettre à leur service pas seulement parce que nous sommes altruistes, mais parce que c’est le signe que nous donnons de notre foi et de notre amour du Christ qui « est réellement ressuscité » (cf. Lc 24, 35). Amen.

Abbé Jean-Paul FILIPPI