Chers frères et sœurs, dimanche dernier, en la fête du Bon Pasteur, c’était la journée de prière annuelle pour les vocations. Le Seigneur ne cesse pas d’appeler des hommes, des femmes, des jeunes, des moins jeunes à une vocation propre. D’une part, pour être témoin de l’Évangile ; d’autre part, pour être heureux. En effet, n’est heureux que celui qui peut accomplir pleinement ce à quoi il est appelé, ce pour quoi il est fait. La méditation de notre séminariste Louis Fabre nous a donné de lire combien il est passionné par le témoignage de l’Évangile qu’il accomplira d’abord comme diacre, puis comme prêtre d’ici quelques mois ; et combien il est heureux d’avancer sur le chemin que le Seigneur a tracé pour lui. Aujourd’hui, en ce 5ème Dimanche de Pâques, nous pouvons trouver dans les textes bibliques notre vocation commune : Dieu nous appelle tous, quel que soit notre état de vie, à être les pierres vivantes de l’Église. Autrement dit, à être l’Église, unis à Jésus Christ « le Chemin, la Vérité et la Vie » (cf. Jn 14, 6), lui qui est le visage du Père : « Celui qui m’a vu a vu le Père » (cf. Jn 14, 9).
Oui, je trouve que passion et bonheur vont de pair. La passion manifeste le bonheur et le bonheur affermit la passion. Les difficultés, les résistances, les échecs, sont les risques de la passion. Il est certain que celui qui n’est passionné par rien est malheureux. Pire, lorsqu’il croit être heureux ainsi. Les répercussions dans son entourage sont mauvaises. Quelques heures avant de vivre sa Passion – qui est un autre sens du mot, richesse de la langue française -, Jésus apprend à ses disciples quelle sera leur vocation : être avec Lui « afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi » (cf. Jn 14, 3). Une promesse pour demain qui se réalise déjà aujourd’hui : « Pour aller où je m’en vais, vous savez le chemin » (cf. Jn 14, 4). En suivant ce chemin, les disciples sont sûrs d’aller où va Jésus, c’est-à-dire vers le Père. Quelle sera la passion des disciples ? « Annoncer les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière » , dira Pierre plus tard (1 P 2, 9). Pour cela, il ne faut pas que les Apôtres soient retenus par toutes sortes de choses les empêchant de mener à bien leur vocation : « Il n’est pas bon que nous délaissions la Parole de Dieu pour servir aux tables » (cf. Ac 6, 2). C’est l’annonce de l’Évangile qui fera la joie et le bonheur des disciples, leur raison de vivre. Une passion peut en effet être une raison de vivre. C’est vrai, à quoi aspire celui qui n’est passionné par rien ?
Seulement voilà, au moment où Jésus parle à ses disciples, le moment n’est pas au bonheur. Si les premiers dimanches de Pâques, nous avions les récits montrant les disciples d’après la Résurrection appelés à reconnaître le Christ dans l’homme qui leur parle au cénacle, au bord du lac, etc., en ce 5ème Dimanche de Pâques, nous avons les disciples d’avant la Résurrection. Si l’heure n’est pas à la joie, c’est que Jésus leur a annoncé sa Passion et sa mort. De plus, ce passage de l’Évangile se situe juste après trois événements ; l’un bouleversant, les deux autres dramatiques. L’événement bouleversant étant le lavement des pieds : l’enseignement de Jésus pour ses disciples à devenir serviteurs. Les deux événements dramatiques : l’annonce de la trahison de Judas : « Ce que tu fais, fais-le vite » (cf. Jn 13, 27) ; et l’annonce du reniement de Pierre : « Le coq ne chantera pas avant que tu m’aies renié trois fois » (cf. Jn 13, 38). Le contexte est donc tragique alors que Jésus promet aux disciples la joie du Royaume : « Je pars vous préparer une place » (cf. Jn 14, 2).
Il n’y a qu’une seule solution pour changer la tristesse en joie, pour susciter la passion pour la vocation à laquelle nous sommes appelés : la foi. Sans la foi, nous ne pouvons rien faire. Sans l’espérance qui nous fait déjà voir le bout du chemin, nous ne pouvons pas avancer. Le tout dans l’amour car c’est bien la charité qui engendre la foi et l’espérance. Pour le moment, les disciples sont dans la tristesse comme les deux disciples d’Emmaüs au soir de Pâques. Leur « espoir assassiné » est aussi l’espoir assassiné de Thomas à ce moment-là qui n’a pas compris que le chemin pour suivre Jésus, c’est Jésus lui-même. Montre-nous le chemin ! Mais « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la vie » dit Jésus (cf. Jn 14, 6). C’est l’espoir assassiné de Philippe qui demande simplement à voir le Père alors que « Celui qui m’a vu a vu le Père » (cf. Jn 14, 9). Jésus assiste au manque de foi flagrant de ses disciples et à leur manque d’espérance. Mais, mais !… L’amour est toujours là. Même si tous l’abandonneront, tous seront témoins de sa Résurrection. Ils seront comblés de bonheur et l’Esprit de Pentecôte leur donnera la passion de l’évangélisation. La vocation des Apôtres à être avec le Christ Ressuscité commencera là, ou plutôt se poursuivra puisque l’amour ne les avait jamais séparés. Cet amour brûlant qui a fait jaillir leur foi pour le Ressuscité et croire que si l’espoir avait été assassiné, l’espérance était née. Leur passion à annoncer les merveilles de celui qui les avait fait passer des ténèbres à son admirable lumière allait pouvoir maintenant se vivre et se transmettre.
Se transmettre, oui, chers frères et sœurs. Car la vocation des Apôtres est aussi la nôtre. Saint Pierre nous l’enseigne : « Vous aussi, comme pierres vivantes, entrez dans la construction de la demeure spirituelle, pour devenir le sacerdoce saint » (cf. 1 P 2, 5). Quelle est cette demeure spirituelle ? La Sainte Église de Dieu. Cette Église dont vous et moi sommes les pierres vivantes de la construction. L’eau du baptême ayant coulé sur nous, l’Esprit de Dieu ayant pris possession de tout notre être, le Sang du Christ ayant nourri nos veines, nous sommes avec Lui et Lui avec nous. Nous sommes devenus pierres vivantes, les unes à côté des autres, que nous nous aimions ou nous détestions, qui construisent l’Église de Dieu. Est-ce que nous avons bien conscience de ce que nous sommes ? De la grandeur de notre baptême ? Oui ? Alors quelle est notre passion pour notre vocation ?
Dans la première lecture, nous avons l’exemple de l’appel des Sept que l’on appellera plus tard, les premiers diacres. Tout le monde est partie prenante : les Apôtres prient et leur imposent les mains. C’est le jour de leur ordination. Mais les Apôtres ne sont pas partie à la pêche aux serviteurs des tables : « Cherchez plutôt, frères, sept d’entre vous, des hommes qui soient estimés de tous, remplis d’Esprit Saint et de sagesse, et nous les établirons dans cette charge » (Ac 6, 3). Ceci montre bien que l’appel n’est pas l’apanage des prêtres et des évêques, mais l’apanage de tous. Nous avons vite fait de nous débarrasser de quelqu’un en l’envoyant au prêtre. Il ne s’agit pas d’envoyer, mais de présenter, d’encourager, de soutenir, d’accompagner une vocation. La Mission Azur, c’est ça. Est-ce que ma vocation me passionne ? Je suis chrétien, baptisé, confirmé : est-ce que je suis passionné par l’annonce de l’Évangile ? Là où je me trouve, là où je vis, là où je travaille, etc. Si je suis passionné, alors je suis heureux et je peux témoigner de ma foi. Par ce témoignage heureux et passionné, je peux donner envie à quelqu’un de me rejoindre pour marcher aussi sur le Chemin qui mène vers Père. Et découvrir en même temps que ce mystérieux chemin qu’est le Christ m’apprend son étonnante Vérité et m’offre sa lumineuse Vie.
Il nous faut donc contempler le Christ, chers frères et sœurs. A travers l’eucharistie que nous n’avons pas tous la grâce de célébrer en ce moment, mais au moins de vivre dans la communion spirituelle, les uns avec les autres, pierres vivantes de l’Église que nous sommes. « La messe n’est pas un dû mais un don » rappelait ces jours-ci un évêque. Je n’ai pas droit à la messe, j’ai le devoir de l’accueillir comme un don. Un don que le Christ me fait pour que je le reconnaisse dans le Pain eucharistique et dans la Parole de Vie. « Qui me voit voit le Père » (cf. Jn 14, 9). Dans ce face à face, nous trouvons la force pour raviver notre passion du Christ et être comblés de bonheur, de sa joie parfaite. Nous trouvons la force pour être fidèles à notre vocation d’être avec le Christ, pierre angulaire, les pierres vivantes de son Église. Puisse cette 5ème semaine du Temps Pascal, qui sera la semaine du déconfinement progressif, nous affermir dans notre vocation baptismale pour accomplir les œuvres du Père. Amen.
Abbé Jean-Paul Filippi, curé