« Quel est ce regard? », homélie du 10 Octobre

Quel est ce regard? Oui, quel ce regard qui pénètre jusqu’au plus profond de notre être? C’est le regard de Dieu. Lorsque Dieu regarde, lorsque Dieu nous regarde, chers frères et sœurs, nous sommes comme cet homme de l’Évangile que Jésus regarde. Dieu pose son regard sur nous et il nous aime. En ce dimanche, le Seigneur Dieu nous invite à ajuster notre regard au regard du Christ. Un regard qui, en d’autres termes, veut dire : « N’aie pas peur ! »

La rencontre de Jésus avec l’homme riche est extraordinaire. On peut très facilement passer à côté de l’essentiel de cette rencontre. Voilà un homme, très riche, puisque l’on nous dit « qu’il avait de grands biens » (cf. Mc 10, 22). Cet homme n’est pas ordinaire. Pas parce qu’il est riche. Un homme ordinaire, c’est un homme qui vit sans vivre. Un homme ordinaire ne se soucie de personne d’autre que de lui-même. Il se demande pourquoi il vit, pourquoi il est là, à quoi il sert. On lui demande s’il va bien, il ne répond jamais « oui », il répond toujours : « On fait aller ». Bref, sa vie n’a pas de sens pour lui. L’homme que Jésus rencontre sur le chemin n’est donc pas un homme ordinaire. C’est un homme qui ne fait pas aller ; il vit, il cherche, il recherche Dieu en toute chose. Dans sa vie, il fait tout bien ; il respecte tous les commandements de Dieu puisqu’il dit à Jésus : « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse » (cf. Mc 10, 20). Cet homme est heureux, mais il cherche le bonheur parfait, il veut la vie éternelle. Sa vie a bien un sens et il veut aller jusqu’au bout du chemin : « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » (cf. Mc 10, 17).

Or, l’homme riche a déjà mis l’éternité de Dieu sa vie de tous les jours en mettant en pratique les Dix Paroles de vie : ne pas voler, ne pas mentir, ne faire de tort à personne, ne pas commettre d’adultère, honorer ses parents, et tout le reste, c’est bien ce que le Seigneur nous demande pour être heureux. La Loi de Dieu n’est pas destinée à nous empêcher de vivre, c’est tout le contraire : la loi de Dieu est une loi d’amour pour vivre dans la paix du cœur. La lettre aux Hébreux, dans la deuxième lecture, nous le rappelle : « Elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants… nous aurons à lui rendre des comptes » (cf. He 4, 12.13). En demandant à l’homme s’il a bien observé tous les commandements, Jésus lui demande en quelque sorte de rendre des comptes. Et alors ? Oui, la vie de cet homme est exemplaire. Peut-il hériter la vie éternelle ? Si oui, que doit-il faire pour cela ?

« Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima » (cf. Mc 10, 21a). Voilà justement l’essentiel de cet Évangile, chers frères et sœurs. J’ai commencé cette homélie en posant la question : « Quel est ce regard ? » C’est le regard d’amour de Dieu. Et dire que nous connaissions ce regard, nous aussi ! Car c’est le regard d’amour des origines. Ce regard qu’il y avait dans la première lecture de dimanche dernier : au moment de la création, lorsque qu’il voit la femme pour la première fois, « l’homme dit alors : cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair » (cf. Gn 2, 23). C’est le regard de l’amour qui transperce l’âme. Créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, nous avions ce regard ; le péché nous l’a fait perdre pour un gagner un regard qui dévore. Suivre Jésus, c’est donc désirer retrouver ce regard respectueux ; c’est vouloir aimer comme Dieu aime. Ce que Jésus propose à l’homme riche, c’est de tout perdre pour gagner l’amour qui permet d’avoir la vie éternelle. L’homme riche faisait tout bien dans sa vie parce que la loi demande de faire tout bien. Mais qu’est-ce qui est à la base de la loi de Dieu ? L’amour. En regardant l’homme riche, Jésus lui manifeste l’amour de Dieu. Seul Jésus peut nous regarder comme cela puisque l’homme Jésus ne nous ressemble pas, en ce sens qu’il a tout pris de nous, sauf le péché. Jésus a donc en lui le regard des origines, qui aime et qui aime gratuitement. Ah comme il est difficile d’aimer gratuitement ! Comme il est difficile de faire la différence entre le désir, l’attrait, la demande, et l’amour gratuit qui n’attend rien d’autre que le même amour gratuit. L’homme riche n’a pas voulu de cet amour gratuit ; l’amour de sa richesse, de ses grands biens, avait plus d’importance pour lui. Et il s’en alla tout triste. « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! » dit Jésus (cf. Mc 10, 23).

Frères et sœurs, le regard de Dieu n’est pas un regard qui fait peur. Dieu n’est pas un père fouettard, il est un père d’amour. Jésus est l’incarnation parfaite de cet amour. Quand Jésus regarde, c’est Dieu qui regarde. Si Dieu était un père fouettard, son regard nous obligerait à lui obéir, nous ne serions pas des hommes et des femmes libres, nous serions manipulés par le Seigneur. Dieu est Amour, un amour sans égal qui nous veut libres. « Viens, suis-moi » dit Jésus à l’homme riche. « Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens » (cf. Mc 10, 21.23). Il n’a pas compris que Jésus lui demandait, en fait, de se débarrasser de tout ce qui pouvait l’empêcher d’avancer vers la vie éternelle. Quand on marche avec de gros sacs très lourds, on avance lentement, on ne peut pas courir. De quoi pouvons-nous nous débarrasser, dans notre vie, qui nous empêche d’aimer ? Ce regard de Jésus bouleverse parce c’est un regard vrai, juste, respectueux, chaste. Lui qui est la Parole vivante de Dieu, « pas une créature échappe à ses yeux, tout est nu devant elle, soumis à son regard » (cf. He 4, 13). Mais, je le redis : c’est un regard d’amour, de miséricorde, de pardon. Jésus propose à l’homme riche de devenir pauvre pour être riche de Dieu, et voilà qu’il préfère les richesses de la terre au trésor du ciel.

Chers frères et sœurs, nous n’avons pas l’habitude d’être regardé comme Dieu regarde. Nous avons du mal à nous dire : « je t’aime » comme si cette expression était réservée à des amoureux. Eh bien non. Savoir dire « je t’aime » à quelqu’un, c’est lui manifester quelque chose de l’amour gratuit de Dieu. Alors, demandons au Seigneur de grandir dans cet amour pour avancer dans la vie éternelle. Nous y sommes entrés le jour de notre baptême parce que nous avons accepté l’amour de Dieu ; l’eau coulant sur notre tête a été le signe efficace de l’amour de Dieu. Regarder à la manière de Dieu, c’est ce que Jésus nous offre lorsqu’il pose son regard sur nous et se met à nous aimer. Enlevons alors ce qui nous encombre pour ne pas faire aller, mais pour vivre dans l’attente de la vie éternelle, dans l’attente de voir Dieu. Si cela nous semble difficile, laissons-nous réconforter par les mots de la première lecture : « J’ai prié, et le discernement m’a été donné. J’ai supplié, et l’esprit de la Sagesse est venu en moi… Tous les biens me sont venus avec elle et, par ses mains, une richesse incalculable » (cf. Sg 7, 7.11). Cette richesse, chers frères et sœurs, c’est Jésus qui nous regarde et qui nous aime. N’ayons pas peur de lui ! Amen.

Abbé Jean-Paul Filippi